série LE VOYAGE DE JANE 2008
L’imagerie de Le voyage de Jane a les mêmes résonances qu’un conte de fée, étant à la fois riche en ironie et en humour dans ses détails individualistes et dans son anonymat remarquablement archétypal. Le sous-texte de sa composition, faite de suprématie géométrique saturée de palettes de couleurs rappelant De Chirico ou Diebenkorn, donne une charge inquiétante à ces paysages de voyage inhabités. Ces paysages transcendent « Jane » pour atteindre une sorte de « jaïnisme », en quête d’indépendance spirituelle et de sérénité. Dramatique et troublante, la « Jane » de Bonnie Baxter est en suspens entre les nécessités du présent et le désir d’éternité.
Christine Unger ( Traduction : Colette Tougas )
EUROPE
Paris Chambre (hotel), 2008
Œuvre numérique, polypropylène
97.79 x 129.54 cm
(38.5 x 51 pouces) chaque
Bain Paris (room/bath), 2008
Œuvre numérique, polypropylène
129.54 x 97.79 cm
(51 x 38.5 pouces) chaque
VAL-DAVID
Fall, 2008
Œuvre numérique
panneau 1: 97.79 x 129.54 cm
(38.5 x 51 pouces)
panneau 2: 129.54 x 97.79 cm
(51 x 38.5 pouces)
SOUTH-WEST UNITED STATES
ROUTE 66
CALIFORNIA
Voyage, 2008
panneau 1: 97.79 x 129.54 cm
(38.5 x 51 pouces)
panneau 2: 129.54 x 97.79 cm
(51 x 38.5 pouces)
Les états de Jane
Richard Gagnier (2012)
Les états de Jane constituent un projet photographique entrepris par Bonnie Baxter autour d’un personnage mis en scène, Jane, qui par ses incursions en différents lieux s’inscrit autant à partir des notions de biographie, des ressorts du cinéma que de la fiction. Surtout ce personnage se construit en image. Ce faisant, c’est l’affirmation du sujet en photographie et une certaine posture critique du féminin avec cette dernière qui s’insinue dans cette construction. Ce projet appelle aussi dans son sillage d’autres pratiques qui ont intéressé la photographie et la vidéo ces dernières années, nommément l’autofiction et ses distinctions avec l’autoportrait. La série s’en préoccupe, s’y frotte même, pour mieux maintenir ces stratégies en porte-à-faux.
Car il est question de faux dans ce projet, de ce qui distingue le vrai du faux avec la photographie en ces temps où le numérique peut tout s’approprier, manipuler et suggérer en pure fiction pourtant calquée sur le réel. Et réel il y aura, chargé de ce qui a été ( le fameux «ça a été» de Barthes ) si les lieux proposés auront vraiment été visités ou re-visités pour le cas qui nous occupe. Car cela s’accumule autour d’une personne, vue et revue comme dans les albums de photos de famille, en autant de lieux visités, presque clichés par leur choix : Paris, la campagne toscane, le sud-ouest américain et la route 66 qui y mène. Il y a donc aussi cet autre travail de la photographie qui est considéré, sa fonction documentaire avec le voyage, de ce qu’elle produit ou extirpe, recadre inévitablement du lieu pour en faire une artificialité idéalisée. Pris en croisement avec cette présence répétée, ces clichés grand format tracent peu à peu le temps d’une histoire, où semble-t-il, il n’y a plus de drame. S’il en fut, il est bien passé; il serait de l’ordre du souvenir. Autre façon de ramener à soi, au soi, l’usage de la photographie. Cet usage qui concourt à affirmer la présence, sa présence. Cette présence confondue avec le lieu comme paysage intérieur.
Mais qui est donc cet autre, autre de l’artiste, si diablement affirmé ne serait-ce que par ses déambulations sur la planète ? On peut le penser comme sujet, et de surcroît sujet féminin par ses attributs qui n’ont rien du travestissement. On aurait plutôt affaire à la création d’une personae, créature proprement autonome, forme jaillissante des préoccupations de l’artiste, mais qui déploie ses habitus et s’incarne grâce à eux. Elle agit, elle réfléchit et s’épanche, ce que le parti pris d’une manifestation sérielle confirme. Elle témoignerait même d’une certaine destinée, autre affirmation du sujet, tout en résistant à s’inscrire dans la narration. Résistance fort probablement inscrite par cette fixité établie dans chacune des images, autre façon d’activer le sériel. Cette fixité qui éventuellement glisse vers le contemplatif, en particulier sur le paysage. Elle s’imprègne aussi du regard rétrospectif ( Jane aurait un certain âge ), regard qui pourtant ne nous sera jamais dévoilé. En effet cette chevelure, une perruque, n’a plus la flamboyance d’une coiffure blond platine d’une prime jeunesse, pas plus que les vêtements et les poses adoptées suggèrent les impératifs de représentation des codes de la mode. Nous y voyons là justement une résistance de la part de ce sujet féminin à pourfendre le photographique, celui qui a si souvent joué avec la séduction féminine et ses attributs, le conduisant à son objectivation pour cause de domination de l’œil regardant. Or cet œil, c’est celui du sujet qui regarde la scène, qui nous invite à observer. Pas surprenant qu’elle nous apparaisse toujours de dos et si souvent au premier plan, presqu’exclue du champ de la photographie elle-même. Cette perruque en devient véritablement l’index.
Et elle porte un nom. Jane, un modèle d’apprentissage et d’identification des livres de classe de niveau primaire nord américain anglophone; mais qui charrie et impose ses valeurs culturelles et sociales, celles d’une certaine classe moyenne, blanche, confortable, aux comportements et au devenir régulés, participant de la fameuse American way of life de l’après deuxième grande guerre du siècle dernier. D’un certain bonheur que l’on a voulu universel. Notre Jane vient de là mais elle s’en est affranchie, a fait ses expériences de vie, s’est individuée. Elle a mis du temps, donnée indissociable de la photographie, qui le happe et le laisse quelque part, entre le souvenir, des bribes de fictions discontinues, des espaces de réflexions et l’affirmation d’un état à soi, que le paysage lui renvoie, en contemplation.
Jane est à propos de tout cela. Et par à coup assumé, de Bonnie Baxter.