Jean Paul Riopelle et Bonnie Baxter: Bestiaire à deux

STEVE BERGERON
La Tribune

 Devant les multiples manifestations qui souligneront cette année le centenaire de la naissance de Jean Paul Riopelle, comment un petit musée de beaux-arts comme celui de Sherbrooke (MBAS) peut-il se joindre au concert sans passer inaperçu?

 

Stratégie adoptée: présenter des pièces provenant de la propre collection du musée, montrer des facettes moins connues de l’œuvre de l’artiste, inaugurer l’exposition dès le début de l’année, associer le célèbre peintre à une autre créatrice — en l’occurrence Bonnie Baxter, avec qui il a collaboré — et faire ressortir un point commun de leurs démarches respectives, le motif du bestiaire dans ce cas-ci: les oies de Jean Paul et les rats de Bonnie.

LA TRIBUNE, JESSICA GARNEAU

 

D’où le titre Jean Paul Riopelle / Bonnie Baxter. Apprivoiser la bête… la bête désignant aussi la gravure, un art capricieux. Bonnie Baxter a en effet ouvert et tenu un atelier de gravure à Val-David à partir des années 1980, et c’est là, à l’Atelier du Scarabée, que Riopelle a réalisé toutes ses eaux-fortes pendant huit ans.

«C’était sa graveuse attitrée, appuie la commissaire de l’exposition, Suzanne Pressé. Riopelle y est resté des semaines. Bonnie Baxter résume cette période avec la phrase: “On mangeait, on buvait et on travaillait”», rapporte-t-elle en riant.

Folie de plumes en pagaille

La pièce maîtresse de l’exposition, présentée jusqu’au 23 avril, ce sont les treize estampes provenant du coffret de gravures Cap-Tourmente, réalisé en 1983 et tiré à 60 exemplaires (le MBAS possède le cinquante-septième). L’occasion était belle de présenter ces œuvres qui n’avaient encore jamais été encadrées par le MBAS. 

«De toute façon, les emprunts d’œuvres étaient impossibles cette année: tout le monde fait Riopelle», insiste Suzanne Pressé, qui décrit Cap-Tourmente comme une «folie de plumes en pagaille».

 

LA TRIBUNE, JESSICA GARNEAU

Le seul tableau de Riopelle qui n’est pas du MBAS est un prêt de la Société des médecins de l’Université de Sherbrooke, intitulé Saint-Joachim (village voisin du Cap-Tourmente). Les visiteurs pourront aussi voir quelques plaques de métal qui ont servi aux eaux-fortes.

Questionnée sur l’ampleur donnée au centenaire de Jean Paul Riopelle, Suzanne Pressé estime qu’on a peut-être un peu trop fait. «Oui, Riopelle est un peintre important, mais il y en a d’autres tout aussi importants. Riopelle se démarque parce qu’il a eu une carrière internationale de son vivant, en France et ici, surtout la période ayant suivi le Refus global, avec ses œuvres des années 1960 réalisées à la spatule. Mais aussi parce qu’il s’est constamment renouvelé, sans se répéter. C’était une tête chercheuse. C’est un peu ça qui fait sa grandeur.»

Riopelle s’est en effet initié aux différents types de gravure à partir de la fin des années 1960. Il a aussi parcouru un chemin inverse de bon nombre de ses contemporains: il est passé de l’abstraction au figuratif.

Une fable sur le rat

Avec Bonnie Baxter, créatrice multidisciplinaire toujours active, le visiteur se retrouvera devant des créations très actuelles en art numérique, vidéo et sculpture, appartenant à sa série Ratkind

L’artiste d’origine texane y met en scène un animal qui éveille des sentiments de dégout, de peur et de haine, mais elle les montre en train de vivre ensemble, en harmonie et en toute sécurité, par le truchement de personnages hybrides, mi-humains mi-rongeurs, filmés et photographiés dans son propre jardin. C’est sa façon d’ouvrir une discussion sur la peur et la haine de l’Autre et de sa différence. 

«C’est de l’ordre de la fable, explique Suzanne Pressé, pour appeler à la tolérance et au vivre-ensemble, en faisant un parallèle avec la haine viscérale envers quelqu’un à cause de sa couleur de peau, sa religion… Dans l’opuscule, on apprend aussi que, dans certains pays, le point de vue sur le rat est totalement différent: il est traité de la même façon que s’il était un chat ici.»

Ratkind a remporté le prix Télé-Québec lors de la 11e Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières, en 2019. 

Âgée de 77 ans, Bonnie Baxter enseigne toujours à l’Université Concordia.

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Créer l’art comme la vie

Jean Paul Riopelle et Bonnie Baxter ont été plus que des collaborateurs: ils ont été carrément des amis. Tous deux ont vite réalisé qu’ils avaient un énorme point en commun: il n’y avait pas de frontière entre leur vie et leur création.

«Tous les deux, on partageait ce grand amour pour la nature et les animaux, mais surtout, on ne créait pas seulement de 9 à 5, avant de souper et d’aller dormir: on était toujours en train de travailler, et sur plusieurs choses en même temps. La manière de créer de l’art, c’était la manière de créer de la vie», résume l’artiste américaine, qui a adopté le Québec à la fin des années 1960, après être tombée amoureuse d’un artiste québécois pendant ses études à l’Académie d’art de Cranbrook, dans le Michigan.