22 juillet 2023
Arts visuels

«Registre des savoir-faire»: le chemin qui mène à l’oeuvre d’art

Jérôme Delgado

Collaborateur

 

Photo: Lucien Isabelle Vue de l’exposition «Registre des savoir-faire». Maude Bernier Chabot, Souffle, 2022.
Jérôme Delgado

Comparé à ses semblables, le Musée d’art contemporain des Laurentides (MAC LAU) n’a pas à rougir. De superficie similaire à celui de Montréal — celui installé à la Place Ville-Marie —, enclavé comme lui dans un bâtiment multifonctions, le musée de Saint-Jérôme propose une des expositions phares de l’été.

À la fois intelligente et accessible, généreuse et modérée, Registre des savoir-faire s’appuie sur une variété de cas afin de relever le rôle déterminant de l’atelier. Sans miser sur du tape-à-l’oeil, ni de vedettes de l’étranger, le programme salue le caractère exploratoire et expérimental d’une quinzaine d’artistes « associés au territoire laurentien ».
En grès, en matières textiles, en verre, à l’estampe — peu importe la source —, le chemin qui mène à l’oeuvre d’art prend rarement une forme rectiligne. Avant d’avoir le résultat devant les yeux, les artistes consacrent un temps riche au travail d’atelier. En écho à cette réalité, le public du MAC LAU doit aussi passer d’abord par cette antichambre où tout se crée.

La première salle de l’exposition prend des airs d’atelier collectif. Les pratiques et époques s’y côtoient sur des tables et sur les murs. Outils, carnets de notes, échantillons, documentation et quelques oeuvres rythment l’espace.

On y trouve les tampons encreurs de François Morelli, si incontournables à ses dessins. De Dominique Pétrin, connue pour ses murales en papier sérigraphié, la mosaïque de petits gabarits donne une idée de la composition qu’elle projette. Et ainsi, pêle-mêle, on a un aperçu de ce qui trame chez les uns et les autres, y compris Betty Goodwin, Claude Vermette et d’autres qui ne sont plus de ce monde.

Bien que redevable des techniques et des normes à sa discipline, chaque artiste est maître de son art. Les recherches sur le béton d’Alain-Marie Tremblay l’ont mené à la « bétonique », une innovation personnelle qui lui a permis d’être autre chose qu’un céramiste seulement. Exposé sur une des vitrines, le rapport qu’un laboratoire lui transmet en 1987 révèle sa quête du béton blanc le plus résistant.

Maude Bernier Chabot a inscrit dans un cahier la pondération, en grammes, de chaque couleur à appliquer à la « partie bulles » de sa sculpture Vénus endormie. « La section “dos” doit être fait [sic] en deux temps à cause du dénivelé prononcé », précise-t-elle, à la fin de ce qui semble être une recette maison.

Le savoir-faire n’est pas une science précise. Il consiste en un cumul de connaissances techniques, traditionnelles ou artisanales, qui diffèrent d’une tête créatrice à l’autre, d’une paire de mains à l’autre. Ce savoir et ce faire ne sont jamais identiques d’un atelier à un autre, mais les artistes n’oeuvrent pas pour autant en vase clos. Riopelle a eu besoin de l’expertise de Bonnie Baxter, dont l’atelier du Scarabée, situé à Val-David, est un lieu renommé en gravure. C’est là, pendant les années 1980, que le maître des hiboux a imprimé ses eaux-fortes.

Jean-Paul Mousseau, autre artiste issu du mouvement automatiste, a fait appel, lui, à Mariette Rousseau-Vermette pour la réalisation de tapisseries. Cette dernière, qui a pris racine à Sainte-Adèle, avec son mari, le céramiste Claude Vermette, est considérée comme une pionnière des arts textiles au Québec. Registre des savoir-faire expose les cartons que Mousseau lui a livrés, annotés d’indications sur ses choix de couleurs. Et dans une bulle à la marge, il écrit, en clin d’oeil à la fois reconnaissant et moqueur : « Mariette / Je te dis merde ! / Bonne chance / Mousse ».

Des points communs

Dans la seconde salle, beaucoup plus vaste, comme il se doit, puisqu’elle accueille une cinquantaine d’oeuvres, prend place l’exposition dans une forme plus habituelle. Il n’y a aucune division thématique et les voisinages voulus par l’équipe du commissariat sont laissés à la libre interprétation du public. Parfois, ce sont des rapprochements formels, comme celui qui réunit autour de l’exploration en lignes, couleurs, textures et volumes une tapisserie de Mariette Rousseau-Vermette, un papier sérigraphié de Dominique Pétrin, un assemblage en verre soufflé d’Annie Cantin et une estampe de Bonnie Baxter.
La série des « gilets », estampes et/ou eaux-fortes de Betty Goodwin, et l’ensemble Nids, sculptures en silicone, fibres, plumes et autres matériaux de Maude Bernier Chabot, partagent un même petit espace, comme si ces oeuvres avaient été faites pour se côtoyer. Ici, c’est le sujet de l’objet protecteur qui agit comme point rassembleur. Il faut dire que Goodwin a aussi travaillé le thème du nid, dont plusieurs exemples, y compris un « véritable » nid d’oiseau, sont exposés plus loin.
Décédée en 2008, Betty Goodwin aurait eu 100 ans en 2023. Son galeriste et ami, Roger Bellemare, lui rend hommage dans un court texte exposé dans la première salle, où il salue « sa pratique incantatoire », portée par « des dialogues d’art avec l’intuition ».

Bien que le musée n’explicite nulle part les liens de l’artiste montréalaise avec les Laurentides — c’est une des faiblesses de l’exposition, qui vacille entre pédagogie et pure poésie —, Registre des savoir-faire ouvre différentes portes. Elle donne la parole aux artistes (ou à leurs proches), dont on peut entendre les voix à partir de codes QR. Le MAC LAU a aussi mis au calendrier des visites aux vrais ateliers. En août, ce sont Bonnie Baxter et Dominique Pétrin qui attendent le public. Réservations requises.

Registre des savoir-faire
Au Musée d’art contemporain des Laurentides, 101, place du Curé-Labelle (Saint-Jérôme), jusqu’au 24 septembre.