BAPHOMET

GALERIE FOFA GALLERY – VITRINES

UNIVERSITÉ CONCORDIA UNIVERSITY, MONTRÉAL (QUÉBEC), 2006

“Emerging from a process of performative practice and photographic collaboration, the larger than life heads of Baphomet look out into the world, challenging, cool, intellectual. There is an insistence on the objective, a demand that we consider ourselves a part of something much larger and less emotional than ourselves, elemental, ageless.”

Christine Unger (2005)

Pascale Beaudet

VOILEMENT, DÉVOILEMENT II AUTOPORTRAITS

Ces dernières années, la récurrence des autoportraits marque le travail de Bonnie Baxter. Depuis toujours, l’abondance des détails dans ses oeuvres ainsi que leur superposition captent le regard et mènent à une hybridité assumée. C’est à partir de ces axes que mon texte s’orientera. Axes déterminés à partir des oeuvres elles-mêmes, et non à partir d’une mise en exposition.

Historiquement, l’autoportrait, chez les femmes artistes, a été un genre très pratiqué, particulièrement du XVIe au XVIIIe siècle. À titre d’exemple, les nombreux autoportraits de Sofonisba Anguissola au XVIe siècle ont été réalisés pour répondre à la grande curiosité suscitée par la notoriété de l’une des premières femmes artistes italiennes ; au XVIIIe siècle, Élizabeth Vigée-Lebrun se représente souvent, seule ou avec sa fi lle ; à la même époque, Angelica Kauffman, en plus de ses tableaux d’histoire, a aussi peint bon nombre de représentations d’elle-même. Les autoportraits plus anciens représentent tantôt la femme, tantôt l’artiste au travail. Un narcissisme certain les sous-tend ; en même temps, c’est aussi le besoin d’argent qui les a fait naître, surtout avant le XXe siècle. Être son propre modèle évitait des frais et évitait les commérages lorsque le modèle était masculin ; de plus, les collectionneurs étaient curieux de connaître, unies en une seule image, l’artiste et son oeuvre. L’emprise du regard masculin sur le corps féminin y jouait aussi un grand rôle.

Quoi qu’il en soit, de nos jours, l’autoportrait occupe encore une place de choix dans les représentations artistiques, qu’elles soient masculines ou féminines. Pensons notamment à Cindy Sherman, qui pratique l’autoportrait de façon obsessionelle dans ses photographies où elle incarne différents personnages. Dans ses grandes impressions numériques, Bonnie Baxter fait disparaître son corps pour ne montrer que son visage. La question est délicate et plus d’une artiste féministe se l’est posée dans les années 1980 : comment faire pour déjouer les pièges du regard masculin lorsqu’on est une artiste féministe et qu’on se représente soi-même ? Pour n’en citer qu’une, l’artiste britannique Mary Kelly a délibérément choisi de ne pas se dépeindre et utilise des expédients éloquents — vêtements, objets divers — pour échapper aux stéréotypes et fuir la pulsion scopique de la libido masculine.

La solution de Bonnie Baxter est de superposer les épaisseurs, d’ajouter des voiles (au contraire de Salomé et de sa danse des sept voiles, effectuée dans un but bien précis !). Pour éviter la complaisance, elle accumule les textures sur son visage : la rugosité de la pierre, les coulures semblables à des crevasses, les aspérités de l’écorce d’un arbre, le tremblement d’une exposition lente, les découpes tristes d’un paysage ravagé par l’incendie, des taches de lumière, une fi ne gaze trouée… Ces textures se rajoutant à l’image de départ viennent la perturber. Ces autoportraits texturés ont un illustre devancier : en 1959, Marcel Duchamp fabrique cet objet hybride, midessin mi-moulage, qu’est With my Tongue in my Cheek. Cette oeuvre est à la fois mortuaire et commémorative, par sa référence aux empreintes de visages faites par plusieurs
civilisations anciennes ; elle est aussi ironiquement représentative. Assemblage inhabituel de deux techniques, doté d’une protubérance granuleuse, cette représentation de lui-même n’est certes pas flatteuse.

Un peu de la même manière, dans certains autoportraits, Bonnie se mesure au temps qui passe, le devance, le littéralise en s’associant à la nature. S’ajoute ici une attitude panthéiste devant la nature, ce qui n’était pas le propos de Duchamp. L’artiste s’inscrit comme faisant partie de la nature, sans la dominer.

D’autres autoportraits traduisent des humeurs, calmes ou agressives, qui transforment l’artiste. Ainsi, Molten métamorphose l’artiste en personnage diabolique, aux yeux étranges, dont le visage rouge et crevassé est traversé de points de lumière. Sur Chi-Chi Lips, la gueule de Chi-chi est superposée au visage de l’artiste, comme si elle s’identifi ait à lui en train de grogner. Ces autoportraits sont donc comme une galerie de portraits, la description des différentes composantes de la personnalité de l’artiste. Cependant, si « je est un autre », selon la formule d’Arthur Rimbaud, alors ces facettes sont un miroir que l’artiste tend aux spectateurs.

 

L’ABONDANCE
Devant les oeuvres de Bonnie Baxter, on ne peut qu’être frappé par la luxuriance des détails et des couleurs. Cela peut sembler une banalité, mais la façon d’articuler les détails peut mener à la lisibilité ou l’illisibilité de l’oeuvre. Le détail comme opérateur théorique a été fi nement défi ni par Daniel Arasse, toutefois il l’a appliqué à des oeuvres d’avant la modernité. Je tenterai ici d’appliquer cet instrument d’analyse aux oeuvres de Bonnie Baxter.

Le regard a deux modalités : le lointain et le proche. La vision de loin unifi e, donne une impression de cohérence, parfois fausse. De près, cet aperçu unitaire peut se décomposer. Si l’on excepte les oeuvres minimalistes, la majorité des tableaux ou des estampes foisonnent de détails qui, en général, se subordonnent à l’ensemble. Dans d’autres cas cependant, le détail est soit incongru, soit surabondant et il déstabilise la façon dont on aborde l’oeuvre. Les tableaux d’Arcimboldo, et notamment ses tableaux « réversibles », qui sont lisibles à l’endroit et à l’envers, sont un bon exemple de lisibilité dans le chaos. Les légumes et les fruits assemblés pour composer un visage donnent une illusion de portrait, qui est démenti par chaque fragment du tableau. Pourtant, on reconnaît bien qu’il s’agit d’un portrait. Au surplus, si on a connaissance de toutes les informations historiques, on peut aussi décrypter une allégorie.

Dans ces oeuvres, l’oeil erre à travers les différents éléments et ne sait plus où s’accrocher, s’arrêter pour se fi xer quelques instants, se re-poser. Cet affolement de l’oeil, voulu par l’artiste, fait écho à la perte des repères vécus depuis le début de la postmodernité. Une hiérarchisation calme et ordonnée ne semble plus en phase avec notre époque.

Dans la plupart des oeuvres de Bonnie Baxter, le détail surabondant ne se distingue qu’en
s’approchant d’elles. Au surplus, il est parfois impossible de distinguer sa provenance ou l’ordre dans lequel chacun a été appliqué. Cette abondance et ce désordre correspondent à une représentation éclatée du Moi, à sa mise en pièces. La fiction autobiographique s’y déchiffre peu. On met bout à bout quelques pièces : la confrontation avec le processus du vieillissement, la proximité avec la
nature, le jeu, le déguisement. Mais là n’est pas le but de l’artiste. Elle invite plutôt à un éclatement visuel où les émotions sont conviées.

 

ONIRISME ET HYBRIDITÉ
Les coquelicots, une série de douze impressions numériques, plus récente celle-là, s’inscrit dans le domaine du rêve. Les autoportraits sont moins présents ici et les coquelicots dominent la série, par leur forme et aussi leur couleur flamboyante, à laquelle se joint le vert, couleur complémentaire.

L’oeil y avance à tâtons, si je peux ainsi dire, en étudiant chaque forme avant de la reconnaître. La superposition des images se fait encore plus chevauchante. Des architectures, des personnages, des paysages se mélangent aux fl eurs, dans des combinaisons inattendues. L’hybridité habite les images.

Ce concept d’hybridité, très utilisé dans les années 1980, garde sa pertinence, même s’il semble avoir été délaissé depuis quelques années par les critiques du Québec. Car l’hybridité reste certainement l’une des caractéristiques des oeuvres contemporaines. Dans le présent contexte, elle indique le lieu où interagissent plusieurs types d’images. L’hybridité n’est pas le mélange où l’unifi cation lisse les sens. Il n’est pas non plus l’hétérogénéité, où des éléments cohabitent sans lien. L’hybride procure un renouvellement du sens ; au niveau de la représentation, il joue sur le déplacement par rapport au visible et au connu. À partir d’un contenu hétérogène, Bonnie Baxter crée des oeuvres hybrides.

L’hybridité, dans la série des Coquelicots, permet d’accoler des éléments qui n’ont pas de lien entre eux, de juxtaposer des échelles qui n’ont pas de rapport ; dans d’autres oeuvres, elle peut qualifi er des monstres improbables, sympathiques ou effrayants, ainsi que leur mise en espace. Ces monstres ne sont pas sans rappeler des tableaux anciens, ceux de Jérôme Bosch notamment, et plus récemment les assemblages surréalistes de Dali ou d’Ernst. Baxter ajoute toutefois des détails dans une forme qui complexifi ent les fi gures et les rendent pour certaines presque indescriptibles à force de superpositions, tout en étant déchiffrables pour l’oeil, voguant dans les méandres des affects. Ainsi, un chien peut ressembler à un crocodile et le corps de Chi-Chi se composer de bras et de mains joints, ou être doté de pattes de poulet.

Ces formes qui échappent presque au dicible rejoignent les zones de l’imaginaire où le merveilleux et le terrible se côtoient, la plénitude de la vie et les affres de la douleur ou de la guerre. Le portrait ne serait pas équilibré si je n’y ajoutais l’humour qui se trouve dans les oeuvres, souvent convoyé par l’emblématique divinité Chi-Chi…

 Baphomet – The Allegorical Heads of Bonnie Baxter

By Christine Unger

 

THE PRINCIPLE OF COMPLEMENTARITY

Some observations can never be made simultaneously. For example, one cannot see an electron as a particle and a wave at the same time.Two different experimental situations are necessary, and they cannot be realized simultaneously. The principle was first formulated by Niels Bohr. (Lefebvre, 1983, p. xxv)

“This is going to be weird”, these are the words of warning or comfort that Bonnie offers to her photographer as they plunge into the first stage of her creative process.While certainly surreal, Bonnie’s images are not the product of dream analysis, but rather the product of a process that deliberately makes room for the interference of the waking sub-conscious, the body’s memory-consciousness, and the mediation of context. This process allows her to explore subjects that might otherwise be difficult to confront or simply outside of her everyday waking preoccupations.

Preparing for the heads, she makes of herself a palate as clean as possible – stripped of pretense and holding as little presumptive information as possible. Suggestive hair is wrapped in dark cloth (dark to avoid association with clinical whites) that is neither hat nor turban.The body is not portrayed – there is no place for gesture or body language or the dialectic of the male gaze. Colour is kept to a minimum.This stripped down face can now confront the camera.The second process allows Bonnie to interact spontaneously with the contents of her surroundings (from emotional prompts to objects laden with specific memory) – an almost autonomic or automatic performance captured in stills.With 500 quick headshots and hundreds of other images drawn from a library of personal iconography and influence built over more than 30 years or so, she is ready to begin.

If this notion of absolute health were not an abstract category, something which does not strictly exist, we might say that a perfectly healthy man would be no longer a man, but an irrational animal. Irrational, because of the lack of some disease to set a spark to his reason. And this disease which gives us the appetite of knowing for the sole pleasure of knowing, for the delight of tasting of the fruit of the tree of the knowledge of good and evil, is a real disease and a tragic one.

Miguel de Unamuno Tragic Sense of Life (Gutenberg E-Book)

Encased in our subjective shells, contained by our personal concerns and critical expectations, it is hard not to read a degree of Vanitas into this series’ unflinching portrayal of human flesh.We are so accustomed to the critical framework of John Berger’s “male gaze” that an initial reading of the images may be obscured by our own theoretical expectations and our personal fears in the face of mortality and social expectation. Casting
aside such predispositions one sees that the layers of imagery overlapping and underlying the face do not conceal but rather, embrace the reality of aging as natural growth and change in the process of life and evolution.We are seeing a confirmation of life in its fullness, from youth to decrepitude and everything in between.

These oversized, defiant faces are not shrinking from mortality but insisting on continuity and co-existence.  Seen in sequence, they present an allegory of ‘being’ characterized by all- encompassing compassion and empathy, and mediated by layers of paradoxical coexistence and complementarity. “The stone faced woman” is not a simile for a hardened madam but a profile grand and full of porous potential looking towards the future. In the next image she returns this gaze from above a blackened hillside, almost patriotic, she looks back as if to say this is a temporary state of affairs, in time I will triumph, like some new age Scarlet O’Hara prepared to accept the challenges of survival. Throughout the series, natural elements play yin yang across the surface of her skin. It may be one face or it may be many, one attitude giving the lie to the other, expressing uncertainty in the face of bold confidence.Always denying the possibility of a single point of view.

Being creatures of dualistic habit and construction, the most common filter for our thoughts on life is the contemplation of our mortality.Vanitas has always been a concern for artists and philosophers, and the self-portrait has been a direct and telling means in this exploration.The historical tradition of self-portrayal is akin to today’s personal web page, a sales pitch and a means by which colleagues and patrons might be able to identify you and appreciate your accomplishments.

Contemporary artists have many different reasons to explore the self-portrait, but at base, the process gives rise to at least two desirable states of psychological awareness: first a humbling sense of imperfection and then a strange displacement of self as technical objectivity comes into play. Its primary effect is to place its subject outside of “self” through a displacement of time and materials, to exist within the plane of the “other”.

Bonnie Baxter is an artist whose work thrives on mediation.The elaborate processes of printmaking mediate the gesture.The use of unfamiliar digital processes used in the creation of the Baphomet required the technical assistance of photographer, Margarita Lypiridou, and Etienne Fortin, who assisted her at SAGAMIE(1) as she sorted through her vast compilations of imagery on computer.While not precisely collaborators, their choices, their limitations and the added context of their presences add yet another layer of mediation.The mediation of time is a particularly strong factor in her recent work that draws from her vast store of imagery, her personal iconography. Bonnie relies on the layering of images to create unique connections, to suggest meaning and question presumption.The process of self-portrayal adds yet another mediating layer to her
work.

Bonnie Baxter adds to this displacement the distancing effects of multiplication to the extent that her ‘self’ is subsumed in a series of shifting contexts. The images of the Baphomet series derive from two different digital mediums: first, digital photography and the digital printing process itself. Each process holds the potential for multiplication, yet the shear volume of choice incurred through these processes precludes the banal reproduction of art that Walter Benjamin was concerned with. Digital processing allows virtually infinite choice in the creation of specific and unique contexts for any given image. Bonnie is able to endow each of the heads with its own iconic purpose. In the event that we are unsure of this point, Bonnie’s companion dog, her Chichi toy which makes it’s bobbing-head chihuahua appearance in many of her other series, finds its way into this series as well. It poses the question that this series of digital reproductions must answer? Is a multiple, an object with at least the potential for mass production, any less individual and unique once it has acquired a context? Chi-chi sits on her lips and finds his way among objects that have yet to find their own personal contexts. His unique personality is evident and reiterates the unique individuality of each of these “self-portraits” and the metaphysical impossibility of returning to the “self” of any given moment, the impossibility
of recreating context.

From Aristotle’s proton organon to George Lucas’s midi-chlorians, people throughout time have expressed a sense of profound connection between the corporeal world and a unifying force that in some indefinable way guides the movements of the universe at every scale of existence. It all seems a little too metaphysical for our postmodern existence but, with the arrival of String Theory, Physicists are beginning to find mathematical formulae to support a worldview in which the unimaginably tiny impacts the unimaginably vast and everything in between. Moreover, it is just possible that consciousness itself may be a guiding factor. What cannot be denied is the human desire to believe that we can experience life outside of our own bodies, to explain a sense, rare and precious for most, of inter-connectedness with the world around us, to sense that we are not confined to a specific timeline or a particular space.

The many layers of mediation which Bonnie invites into her process create individual works that act as portraits of the fragmented existential self, the elusive self which is linked to the shifting unreality of the “present” and the impossibility of “return”.We are different people at each moment in our life, a blend of body and spirit infused with the significance of a specific time and place.The monumental heads of Baphomet
defy finality or singularity – deny the possibility that one perfect image – one captured observation – could somehow secure the sole essence of a subject and give it immortality. Instead they propose a fluid state of existence dictated by confluence with our environment.The “I” is a fragment of self that belongs within a much larger body of existence that is both synchronous and timeless.

1 SAGAMIE:The National Research and Exhibition Centre for the Contemporary Digital Art